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Le blog de Emmanuelle Gaziello,

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UN NOUVEAU PAS VERS LA DÉSÉMANCIPATION, par André Tosel.

Publié par Emmanuelle Gaziello sur 15 Février 2010, 16:39pm

Catégories : #Observatoire des Droits et Libertés

UN NOUVEAU PAS VERS LA DÉSÉMANCIPATION

ou     LA STRATÉGIE DE GUERRE CIVILE PRÉVENTIVE DU RÉGIME SARKOZIEN

 

André Tosel est philosophe à l'université de Nice.Il a enseigné la philosophie politique et la philosophie de l’histoire à l’Université de Nice. Il est l’auteur de nombreux ouvrages sur la philosophie marxiste (Marx, Gramsci, Lukacs) et, plus récemment, d’une série d’articles sur la mondialisation et ses conséquences.

voir sa biographie


 

 Il est clair depuis ces dernières années que la mondialisation capitaliste en cours entraine un processus de désémancipation sociale caractérisé par une soumission réelle du travail et de l’économie aux impératifs de l’accumulation financière, par une  concurrence impitoyable, de plus en plus polycentrique, entre entreprises et Etats, par la production d’inégalités énormes entre populations différentes, aussi bien qu’au sein d’une même population. Cette désémancipation se développe en accusant ses traits: chômage incompressible, désinvestissements et délocalisations du capitalisme liquide, production d’une masse d’hommes inutiles inscrits dans un régime d’apartheid mondial, liquidation des solidarités de travail et de coopération, destruction de ce compromis socio-politique qu’avait été l’Etat social de l’après-guerre, généralisation de formes de guerre inédites... Or, il n’est pas de désémancipation sociale sans désémancipation politique.  C’est ce que prouve la dérive liberticide qu’organise le principat de moins en moins démocratique mis en place jour après jour par le régime Sarkozy.


 

Sous couvert de défense de la sécurité publique et privée s’accumulent des mesures qui mettent en danger la sécurité et la liberté des citoyens dans le pays supposé être le paradis des droits de l’homme. Aujourd’hui les exclusions scandaleuses de réfugiés afghans ou autres reconduits de force dans leurs pays,  la politique discriminatoire de l’immigration choisie, devenue trop populaire, la constitution par décret d’un fichier destiné à identifier les personnes appartenant à des goupes réputés dangereux -bandes de quartier, voyous, groupuscules d’extrême-gauche, sectes terroristes islamistes- s’ajoutent à la longue liste des coups portés contre les libertés publiques. Les luttes de travailleurs désespérés par la perte de leur emploi et le ravage de leur vie sont criminalisées, si elles retrouvent les formes inévitables de la contre-violence légitime que sont les grèves dures, les occupations de site, la séquestation pacifique d’employeurs cyniques et/ou irresponsables. Peines de prison, amendes, intimidations diverses, emprisonnements dépourvus de justification, limitation des droits sociaux deviennent des armes de l’arsenal liberticide. Les conflit sociaux et culturels que la mondialisation capitaliste aiguise de manière structurale sont traités de plus en plus par le droit pénal et la répression. Il en va de même pour les résistances qui prennent la forme de la désobéissance civile : instituteurs refusant d’appliquer des réformes dégradant encore davantage le système scolaire dans le sens de la production de deux écoles inégales, citoyens et associations humanitaires abritant des immigrés sans papier au mépris de lois formalisant des pratiques déshumanisantes, tous affrontent un système dont les mécanismes de gestion des populations décident qui l’on laissera  vivre et qui sera voué à la mort. Ce système est lié à un pouvoir politique  qui se dit -pour combien de temps encore ?- Etat de droit ; ses dignitaires –Mrs Besson, Hortefeux et tutti quanti- parlent le langage de la liberté, de l’égalité, de la fraternité, que démentent leurs pratiques. Il est vrai que l’exemple vient de haut. Le président Sarkozy s’emmitouffle, en effet, avec ostentation dans l’habit d’un très chrétien chanoine du Latran tout en se faisant le croisé de la lutte contre « la racaille », sans imaginer autre chose que le recours à la police pour rendre vivable la vie dans les quartiers populaires et couper les racines sociales et culturelles de la délinquance. Ainsi est encouragée et reproduite la peur de l’autre que ressentent des majorités incertaines et angoissées par leur chute réelle ou potentielle dans l’insécurité existentielle. Ainsi des minorités très diverses vivant sur le territoire sont constituées en menaces, qu’il s’agisse des immigrés nord -africains ou africains, avec ou sans travail, légaux ou illégaux, des réfugiés de tous les ailleurs du monde. Tout se passe comme si le pouvoir politique usait de l’incertitude existentielle qui frappe les plus exclus, les plus plus pauves et les plus fragiles des classes et couches subalternes pour les transformer en majorités prédatrices et tenter de les cimenter dans la haine à l’égard de minorités constituées par des fractions ou segments de populations encore plus exclues et encore plus pauvres.


L insécurité et la violence réelles naîssent structuralement d’un système économique et social qui désassimile plus qu’il ne civilise les individus. Mais elles sont présentées comme produites par leurs victimes elles-mêmes. Elles sont supposées disparaître sous l’effet de la guerre qu’il faut mener contre elles.

 

Il faudrait ici tenir en compte d’autres aspects - primauté donnée au droit pénal, atteinte aux  fonctions et procédures judiciaires relativement indépendantes de pressions directement politiques comme celle des juges d’instruction voués à la casse, surveillance des populations et contrôle capillaire des idées et comportements, transformation de la prison en entreprise de traitement des déchets sociaux sans perspective réelle de rééducation autre que celle du recyclage des ordures. Il ne faut pas oublier que le soulèvement des banlieux a été affronté par le recours à l’état de siège, mesure d’exception qui n’avait plus été employée depuis la guerre d’Algérie. Seule une analyse plus étendue pourrait prendre la mesure de l’efficace de l’idéologie et  de la politique de la sécurité et montrer que se développe-là une idéologie de guerre civile préventive contre toute résistance populaire. Conduite sous la direction des forces économiques dominantes et leurs faire-valoir politiques et idéologiques, cette idéologie de guerre prépare en fait l’organisation institutionnelle et quotidienne d’une politique de guerre sociale plus ou moins cachée visant à annuler ou discréditer les pratiques de résistance, d’insoumission ou simplement de fuite qui naîssent de la désémancipation sociale du capitalisme.

 

Il est inévitable que la violence de cette désémancipation ait des effets divers et contradictoires et produise diverses formes de contre-violence aussi bien de la part des classes et couches en voie de soumission ou de liquidation existentielle que de celle des couches désocialisées et désassimilées qui n’ont d’autres recours qu’une violence immunitaire politiquement improductive.

 

L’objectif immanent de cette politique de guerre est triple. Tout d’abord il faut rendre impossible la connaissance adéquate des causes essentielles de l’insécurité existentielle –perte de l’emploi, fragilisation de la vie affective individuelle et familiale, dégradation de la protection sociale, soumission accrue à l’esclavage de la dette et de l’endettement engendrés par le mode de consommation devenu indispensable au mode de production capitaliste, affaiblissement des liens de solidarité-. Ensuite il importe de dériver l’angoisse et l’incertitude éprouvée par la majorité « nationale » de la population sur des minorité stigmatisées et désignées comme proies à éliminer. Le dernier  objectif est de préparer ces majorités apeurées à se faire prédatrices de ces minorités, ne serait-ce qu’en consentant aux politiques sécuritaires et en assurant ainsi une reproduction du système socio-historique. De toute manière, et en tous les cas, la tâche urgente est de délégitimer de façon préventive toute juste colère se manifestant dans l’insoumission , dans la désobéissance civile, dans une contre-violence qui sait se faire responsable. La désémancipation politique est une politique qui a pour but et effet d’empêcher la formation de mouvements  de masse répondant à la violence systémique et à ses effets quotidiens. Elle a pour adversaire la lutte civile politique qu’elle disqualifie en organisant par le moyen de la peur et de l’angoisse l’union sacrée d’une population non unifié, segmentée et fragmentée, contre un ennemi en soi dont elle a un besoin urgent. Cet ennemi est produit  imaginairement sur le mode d’une entité une, unifiée et unificatrice. Il incarne le Mal en soi de l’Insécurité, réduite au statut d’un effet séparé de ses causes.et vouée à être éradiqué sans  qu’il y ait à s’attaquer à ces causes.

 

Plus profondément, cette stratégie de guerre civile préventive atteste que la société du capitalisme mondialisé est incapable de réaliser pour tous la promesse minimale qui est inscrite dans ses textes fondateurs, celle d’une vie menée dans la liberté et la sécurité. Aujourd’hui est béant l’abîme qui sépare partout la minorité, celle des castes de fait –classes et groupes, Etats et nations- de tous ceux qui disposent d’une liberté dotée des moyens de sa réalisation et de la sécurité existentielle d’une vie à l’abri de la misère et de la rélégation et la majorité de ceux qui ne disposent que d’un faible degré de liberté d’agir et de penser et d’une part infime de sécurité existentielle. Aujourd’hui est consommée la disjonction durable entre liberté et sécurité et cette disjonction est un effet de système dont est exemptée exclusivement une élite qui n’en est pas une. Cette élite  réussit à se rendre invisible en se présentant comme partie  exprimant le désir de sécurité de la majorité  dont la logique de notre société rend la satisfaction impossible. Cette majorité composite est unifiée par la peur des minorités qu’elle suspecte d’être inciviles –salariés en révolte, « gauchistes « partisans de l’insurrrection,  teroristes islamiques, partisans de la désobéissance civile- et qu’elle érige en autant de figures du danger insécuritaire.

 

La politique sécuritaire de désémancipation  politique  fait plus que s’esquisser ; elle se  trouve peut-être sur le point de parvenir à un seuil de non- retour si on ne la combat pas efficacement et immédiatement. Nous vivons dans l’urgence de ce combat contre un adversaire qui prend la forme politique monstrueuse d’une démocratie devenue régime de la dédémocratisation. Une heure a sonné, celle de la colère, de la critique active, de la résistance effective, de la légitime insoumission sociale et politique, éthique  et intellectuelle. Un jour peut venir qui ne peut être en son aube qu’un jour de la colère. Mais, comprenons-nous bien, nous n’entonnons pas le Dies Irae du Jugement dernier. Ce jour n’en appelle pas à un tribunal de l’histoire, à un juge divin ultime. Il est seulement le jour où feront lien social et politique tous ceux qui manifesteront cette colère mais en relevant le défi que constitue le nécessaire contrôle prudentiel de cette colère, La colère ne se confond pas toujours avec la haine que pourrait engendrer une contre-guerre civile légitime faite à la guerre civile préventive inscrite dans la logique d’un système historique et social qui a épuisé ses réserves d’humanité. Elle est lutte intelligente qui ne perd jamais de vue que son objectif est de libérer la puissance d’agir et de penser des couches, des classes subalternes, de multitudes aujourd’hui prisonnières des pièges de la guerre civile préventive conduite par les maîtres aveugles et irresponsables d’un système de l’iniquité.

 

                                                   André Tosel, professeur émérite de philosophie

                                                                      Université de Nice-Sophia Antipolis


 

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