Tout est parti d’un débat sur BFM-TV dimanche 18 décembre 2012. Ce jour-là lors d’un débat contradictoire avec Jean Luc Mélenchon, Christian Estrosi entonne l’argument de « produire en France », en vantant son action de ministre de l’Industrie, tout en dénigrant à partir du cas de l’entreprise Molex, l’attitude des responsables syndicaux, notamment CGT, plus soucieux selon lui de percevoir des indemnités de départ que de sauver l’activité et l’emploi.
Une première réplique viendra d’une tribune libre « Lettre ouverte du syndicat CGT Molex » publiée par l’Humanité du 26 décembre.
Le problème, c’est qu’il ne s’agit pas là seulement d’un dérapage ponctuel de monsieur Estrosi , car dans son livre (1) il passe de longs paragraphes à vanter et rehausser son bilan de ministre par un dénigrement méthodique de l’action syndicale. Nous avons d’ailleurs alerté fin décembre les responsables syndicaux de l’entreprise de Haute-Garonne qui se débattent toujours avec les conséquences des suppressions d’emplois, et dont on peut comprendre que la lecture de l’ouvrage de monsieur Estrosi n’était pas une priorité spontanée.
Lequel d’ailleurs ne le leur avait pas fait parvenir, bien qu’il les mette gravement en cause!!
Guy Pavan nous a alors fait parvenir le texte du « Protocole d’Accord Général » transmis par monsieur Estrosi le 14 septembre 2009 aux représentants du personnel, en exigeant d’eux une approbation de celui-ci pour le 15 septembre!, dans un chantage éhonté « c’est ça ou rien ».
On constate qu’on y est très loin des affirmations de monsieur Estrosi. Celui-ci réécrit l’histoire en indiquant « j’obtenais de l’entreprise qu’elle investisse assez d’argent pour éviter les licenciements et permettre une cession aux repreneurs dans de bonnes conditions ». Dans le protocole, et alors que l’entreprise Molex concernait 316 personnes dont 27 intérimaires et 6 CDD, le repreneur, le fonds commun de placement HIG par l’intermédiaire d’une filiale VMI, s’engageait sur « 20 postes de salariés dans un délai de trois mois » dans la perspective de« 30 à 40 salariés de plus à échéance d’un an ». Pas étonnant que le CE ait refusé de donner son aval à ce plan là, alors que l’entreprise était viable et bénéficiaire, comme le cabinet d’audit Syndex mandaté par le CE en avait fait la démonstration.
Il n’est décidément pas convenable pour monsieur Estrosi de vouloir vanter son bilan en piétinant l’aorte de représentants du personnel qui eux, ont courageusement défendu l’activité et l’emploi dans une lutte sociale de deux années.(Rappelons , en outre sa pitoyable "exigence" envers Renault et Psa d'arrêter les commandes de pièces chez Molex, en Octobre 2010. Qu'un ministre ne sache pas qu'on ne peut pas arrêter des commandes et des contrats signés, comme ça, en claquant les doigts ? Allons...)
Surtout dans le cas de Molex quand c’est le gouvernement UMP de monsieur Raffarin, où monsieur Fillon était ministre du Travail, et dont le député Estrosi était un fidèle soutien, qui a autorisé en 2004 la vente par la SNECMA, contre l’avis du syndicat CGT, de l’entreprise de Villemur-sur-Tarn à Molex., ce repreneur américain qui l’a finalement pillée et fermée.
Le bilan plus général de monsieur Estrosi est inscrit dans le bilan de la désindustrialisation publiée par le journal Les Echos le 28 décembre 2011 : près de 900 usines ont été fermées en 3 ans, soit près de 100.000 emplois industriels nets perdus, dans ces trois années qui incluent celles où monsieur Estrosi a été en charge de l’industrie.
d'aprés Jean Paul Duparc, Le Patriote.
(1) « le battement d’aile du papillon » ed Galodé.
Nous aurait-on menés en bateau??
Un entretien avec Guy PAVAN, responsable syndical CGT Molex
Le Patriote:Pouvez vous resituer le conflit pour les lecteurs du Patriote ?
Guy PAVAN :
Nous étions jusqu’en 2004 une filiale prospère de la SNECMA, spécialisée dans la connectique automobile, avec 4% du marché européen. Son rachat par Molex a permis à ce groupe américain, numéro 2 mondial de la connectique, de mettre la main sur ces parts de marché et des clients comme Peugeot , ainsi que sur les brevets de l’entreprise, qui ont été tout de suite transférés. Dès le départ, et c’est aussi pour cela que le syndicat CGT était opposé à cette vente, Molex a fait préalablement à la vente, fermer des ateliers très pointus comme la chaîne d’étamage. (dont le dépollution a donc été payée par la SNECMA ). De même ils n’ont jamais voulus racheter les murs de l’entreprise, toujours propriété de la SNECMA !
Mais quelques années plus tard, ils diront que l’absence de « chaîne d’étamage » rend le site « non compétitif ». Et dès 2008, Molex veut fermer le site, j’insiste le fermer et non le vendre à un repreneur, il ne voulait pas qu’un concurrent reprenne le site. Il voulait garder les brevets, les marchés, et transférer l’activité, en Slovaquie, en Allemagne, en Chine et aux USA. Notre lutte a toujours été pour le maintien du site, des emplois et de ses activités, une reprise du site par des entreprises nationales étant possible.
Le Patriote:Qu’en est-il de l’action de l’Etat en 2008 et 2009 ?
Guy PAVAN :
D’abord l’Etat n’a jamais fait sérieusement pression sur les donneurs d’ordres qu’étaient Renault ou Peugeot. Aucune Table Ronde ne pourra avoir lieu avec eux contrairement aux promesses. Quant au projet de reprise par HIG, déjà au printemps 2009, il était évoqué en Préfecture, mais limité aux « produits en fin de vie » et aux pièces de rechanges. D’où le faible nombre de salariés repris, une vingtaine. Molex reculera sur le maintien sur le site de certaines machines, mais souvent non transférables aux USA du fait de normes électriques différentes. C’est le médiateur nommé par le gouvernement qui orientera toujours les concertations vers un PSE ( plan de sauvegarde de l’emploi ) centré sur les indemnités de départ des salariés. Estrosi ment quand il dit que nous aurions préféré les indemnités au maintien de l’activité. En septembre, c’est ce même projet de HIG qu’Estrosi représente sous forme de « projet d’accord » dans un « c’est ça ou rien » avec une journée pour donner une réponse, qui ne pouvait être dans ces conditions que négative.
Le Patriote:Quelle est la situation aujourd’hui ?
Guy Pavan
Il y a aujourd’hui 51 salariés sur le site dont 46 anciens salariés de Molex. Plus généralement seuls 120 d’entre eux sur 316 personnes ont retrouvé un travail dans le cadre des plans de reclassement en cours. Contrairement aux assertions de monsieur Estrosi qui nous décrit comme des personnes « ayant préférés partir avec l’argent »(!), les représentants du personnel ont encore en ce début 2012 un cinquième de leurs indemnités non versé.
Ce qu’Estrosi écrit dans son livre « le battement d’aile du papillon » ed Galodé.
« En plein mois d’aout 2009 (...) Suite à un entretien avec Bernard Thibaud, le Président de la République me demandant de désigner un médiateur chez Molex. (...) J’avais compris qu’un actionnaire américain, dont Renault et PSA étaient les principaux clients, avait décidé après avoir racheté l’entreprise avec ses brevets, de la fermer pour fournir ses clients depuis d’autres usines à l’étranger (...) ni une , ni deux, je pris mes dispositions : le combat a duré des mois à la fois contre Bercy, Christine Lagarde était soucieuse de ne pas froisser des actionnaires américains et avec les représentants des salariés que je pensais de bonne foi mais dont les motivations m’ont pour le moins décontenancé (page 105) Pendant la crise j’ai eu la tristesse de découvrir que les syndicats avaient été déstabilisés par leur base au grand dam de leurs leaders. Quand ceux-ci souhaitaient le maintien de l’activité de l’entreprise, certains salariés ont préféré accepter des primes extralégales extrêmement élevées proposées par les sociétés, de 30, 40000 ou 50000 euros et ont poursuivi la grève non pour sauver leurs emplois mais pour faire augmenter le montant de l’indemnité. Les employés de Molex ne me faisaient pas confiance mais je les rassurais (…) Et au moment où j’obtenais de l’entreprise qu’elle investisse assez d’argent pour éviter les licenciements et permettre une cession aux repreneurs dans de bonnes conditions, les syndiqués en qui je croyais, dont un certain Denis Parise , le secrétaire général du mouvement, m’ont annoncé : « si vous êtes prêt à mettre cette somme sur la table pour le maintien de l’activité, c’est qu’elle est disponible. Nous préférons nous la partager et nous en aller ». J’avais gagné et ils ont pourtant décidé de partir avec l’argent. Jean Claude Mailly et Bernard Thibaut étaient effondrés. Voilà un exemple d’effondrement des syndicats ( page 106) Je prône une modernisation du rôle des syndicats (…) qui consiste à se positionner comme de vrais partenaires sociaux, à défendre leurs emplois, à défendre leurs entreprises, et non pas à tout abandonner pour une enveloppe remplie d’argent. (...) Denis Parise se trouva quelques mois plus tard sur la liste de Martin Malvy aux élections régionales, au moment où justement j’obtenais des garanties fermes pour sauver l’activité. Jai malgré tout poursuivit mon combat. Et j’ai réussi à préserver une petite activité sur ce site destiné peu avant a être totalement sacrifié. C’était une victoire, modeste certes, mais elle en augurait d’autres plus belles encore.( page 107)