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Le blog de Emmanuelle Gaziello,

Le blog de Emmanuelle Gaziello,


L'"Eco-vallée" de Nice n'a-t-elle d'écologique que le nom ?

Publié par Emmanuelle Gaziello sur 2 Juillet 2013, 19:24pm

Catégories : #METROPOLE

Excellent article publié dans le Monde d'hier.Qui rappelle, s'il le fallait encore que l'acte III de la  décentralisation qui renforce le statut des Métropoles, est en fait une concentration des pouvoirs, et un "aprés" de la démocratie locale. Une privatisation des moyens publics à grande échelle qui ne dit pas son nom. EG

Le Monde.fr | 01.07.2013 à 11h56 • Mis à jour le 01.07.2013 à 17h46 |Par Angela Bolis


La plaine du Var, un patchwork de champs agricoles et de constructions diverses.

 

 

Jérôme Petruccoli, 80 ans passés, est un des grands propriétaires terriens de Nice. Dans la plaine du Var, qui s'étire derrière la ville, sa maison fait désormais face au monumental chantier du stade Allianz-Riviera. Un projet parmi d'autres de l'Opération d'intérêt national (OIN) qui vise à réaménager cette vallée évasée, transformée au fil des décennies et des plans d'urbanisation en un patchwork de garages, déchetteries, centres commerciaux, usines, villas, friches, exploitations agricoles...

"On dirait une miniature", dit M. Petruccoli en jettant un œil sur sa demeure plantée au milieu de ses serres, à quelques mètres de la structure métallique du futur stade. Avec le magasin Ikea de 40 000 m2 qui sera construit juste à côté, l'homme doit se faire exproprier au total de 1 400 m2 de terrain. Mais ce qui l'exaspère le plus, c'est la gestion du dossier par les élus locaux.

 

La maison de Jérôme Petruccoli devant le nouveau stade de l'éco-vallée de Nice.

 

"Un mois après son élection, Estrosi est venu me voir au terrain de boules, se souvient-il. Il m'a dit : 'Monsieur Petruccoli, on donnera le même prix à tout le monde pour le foncier.' Mais il y a ceux qui ont négocié, et ceux à qui, comme moi, on propose 100 euros du m2, au prix de la terre agricole. Et si encore ils conservaient vraiment la vocation agricole de ces terres... Mais il les achètent, les laissent en friche quelque temps, et puis ils construisent", explique-t-il de sa voix tranquille. 

UN PROJET HÉTÉROCLITE, ATTAQUÉ SUR TOUS LES FRONTS

Jérôme Petruccoli n'est pas le seul concerné par ces expropriations prévues dans le cadre de l'OIN de la plaine du Var – cette opération validée en 2007 par Christian Estrosi, alors ministre UMP de l'aménagement du territoire, aujourd'hui vice-président de l'Etablissement public d'aménagement (EPA) qui la pilote, maire de Nice et président de la métropole niçoise. Le tracé de la route de quatre voies, qui doit desservir le stade, empiète, à lui-seul, sur 115 propriétés. Dont celle de Jeanne Venturino, 85 ans, qu'elle partage avec un couple d'octogénaires et unefamille avec deux enfants.

L'été dernier, des militants de mouvements citoyens niçois ont remis en culture son jardin, et vendu leur récolte au voisinage pour se mobiliser contre la démollition de sa maison. Mais cette expérience de potager collectif n'aura pas duré plus d'une saison : "La vieille dame n'a pas supporté l'agitation et les pressions", explique Lætitia Barriera, paysanne membre de l'association Terra Segurana. Tout comme elle "ne pourra supporter un changement de domicile", note son avocat, Me Spatafora.

Le stade, le magasin Ikéa, la voie de 40 mètres ne sont que quelques-uns des projets de construction lancés dans le cadre de cette vaste opération baptisée"Eco-vallée", qui prévoit de bâtir aussi, tout au long du lit du Var, plusieurs quartiers d'habitation, une plateforme logistique agro-alimentaireun centre d'affaires avec nœud de transport et parc des expositions, un technopôle... L'OIN couvre au total 10 000 hectares de la vallée niçoise, dont 450 hectares doivent être urbanisés, avec pour objectif la création de 50 000 emplois et de 4 400 logements.

S'efforçant de donner une cohérence à cet ensemble hétéroclite, l'EPA expliquedans son "projet de territoire" :

"Il s'agit en vérité d'inventer une mixité complexe donnant un sens à la cohabitation d'activités de nature très différentes (industrie, agriculture, tertiaire, tourisme, commerce...) avec des logements, des équipements publics autour de trois éléments fondamentaux qui doivent servir de lignes conductrices : le fleuve, le grand paysage et la richesse écologique." Ou encore :"de forger un modèle original ni tout à fait ville, ni tout à fait campagne".

 

Vue générale du futur quartier d'affaires Grand Arenas, à Nice.

 

LA MULTIPLICATION DU PRÉFIXE "ÉCO"

Tentaculaire, l'opération "Eco-vallée" est aussi attaquée sur tous les fronts, par des citoyens et militants locaux aux profils variés. Il y a par exemple Gilles Zamolo, représentant des supporters de la Brigade Sud Nice, qui déroule un argumentaire pointilleux contre un stade de football à "vocation commerciale" (une galerie marchande doit s'y implanter), qui doit ouvrir ses portes avant même que ne soient achevées les routes qui le desservent.

Il y a Emmanuelle Gaziello, conseillère municipale Front de gauche, qui s'insurge contre la stratégie économique de M. Estrosi, qui "veut faire de Nice un grandcentre de tourisme d'affaires" en attirant les sièges sociaux des grands groupes, sans valoriser l'économie locale.

Il y a aussi Nadège Bonfils, coordinatrice (EELV) du collectif OIN-Plaine du Var : pour un débat citoyen, qui s'inquiète des constructions sur d'anciennes zones inondables déclassées, dans le lit majeur du Var – ce fleuve dont les crues sont restées gravées dans la mémoire collective niçoise.

 

 

Il y a encore, sur toutes les lèvres, l'accusation persistante du manque de débat réel et de l'opacité qui entoure les projets de l'OIN, en dépit de la démarche de concertation publique affirmée par l'EPA.

Lire l'éclairage sur "les limites décriées des enquêtes publiques"

Mais parmi toutes ces critiques, il y en a une qui entre franchement en collision avec le cœur de la communication de l'EPA, que révèle la multiplication du préfixe "éco" (pour écologique) au fil de ses dossiers de presse – "éco-vallée""éco-quartier""éco-stade""éco-exemplarité"... "Charte d'adhésion au cadre de référence pour la qualité environnementale de l'aménagement et de la construction" et "guide de préservation de la biodiversité" à l'appui, l'établissement public qualifie son projet de "première opération d'intérêt national entièrement dédiée au développement durable". Même la grande surface Ikea participe à cette ambition, explique Christian Estrosi :

 

 

 TERRES FERTILES BÉTONNÉES, FAUNE ET FLORE MENACÉES

Face à cette posture vigoureusement verte, Lætitia Barriera tranche : "Ça ne peut pas être écologique de bétonner des terres agricoles parmi les plus fertiles d'Europe." La jeune agricultrice a lancé un projet de jardins partagés pour tenter de préserver la "vocation nourricière" de la plaine du Var. Dans cette optique, elle a calculé que "sur les 23 hectares du grand stade, nous aurions pu créer 4 000 parcelles de jardinage de 50 m2nourrir 4 000 personnes à l'année minimum" et, en cultivant des choux, aubergines, tomates et autres fruits et légumes en agriculture biologique, gagner plus de 1,5 million d'euros par an. Tout en donnant du travail à des jeunes en difficulté ou des jardiniers du coin, en protégeant l'environnement, ou encore en "valorisant un patrimoine éco-touristique", argumente-t-elle.

 

Laetitia Barriera, jeune agricultrice sur les hauteurs de la plaine du Var, dans son jardin.

 

Outre l'artificialisation des terres, la pollution atmosphérique, la détérioration de la nappe phréatique et la destruction de la biodiversité sont aussi au menu d'un copieux dossier constitué par le Collectif associatif pour des réalisations écologiques (Capre 06), qui a saisi la Commission européenne, à la mi-mai, pour"non-respect de la législation européenne" dans le périmètre de l'OIN. Une zone couverte notamment par deux espaces de protection Natura 2000 : la vaste zone humide de la basse vallée du Var (qui sert de refuge et d'aire de nidification à de nombreux oiseaux d'eau et oiseaux migrateurs) et les vallons obscurs.

MANQUE D'INFORMATION ET DE VISION D'ENSEMBLE

Ainsi, sur le seul site de la future plateforme agroalimentaire – prévue pouraccueillir 900 camions par jour – deux espèces sont "très fortement" menacées, selon une étude d'impact de la LPO : une orchidée et le lézard ocellé, plus grand lézard d'Europe. Sur le même site, un avis du préfet des Alpes-Maritimes regrettait aussi, à la fin 2012, que la préservation des hectares agricoles fixés par la directive territoriale d'aménagement ne soit pas respectée, alors que "le maintien de l'agriculture dans la plaine du Var, reconnue (...) comme faisant partie des trois secteurs stratégiques du département, est une priorité", et que cette activité"pourrait disparaître totalement dans quelques années".

Plus généralement, le collectif Capre 06 dénonce l'absence d'étude d'impact globale, qui devrait évaluer les effets cumulés de tous les projets d'aménagement de l'OIN sur l'environnement de la plaine du Var. Ce manque d'information et de vision d'ensemble est également déploré par un avis de l'autorité environnementale de l'Etat datant de fin 2012. Qui conclut que "ces impacts cumulés sont pourtant susceptibles d'incidences sigificatives sur la biodiversité". Sollicité par le Monde.fr, l'EPA n'a pas souhaité répondre à nos questions.

 

Angela Bolis

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