Dans "le Patriote " de cette semaine, j'ai écrit cet article à l'occasion des futures commémorations du 150° anniversaire du rattachement de Nice à la France, en Juin prochain
Henri Sappia, 1833-1906
Erudit, révolutionnaire républicain et grand défenseur de Nice, conspirateur, propagandiste des idées nouvelles, il fut trois fois condamné : la première pour avoir conspiré contre le tyran Ferdinand II de Naples, la seconde pour avoir comploté contre Napoléon III, et une troisième fois par contumace pour sa participation à la Commune de Paris
Né à Touët de l’Escarène, décédé dans son modeste logis au 28 de l’avenue de la République à Nice, Henri Sappia fut enterré-gracieusement- à Caucade par la municipalité de l’époque en raison des services rendus à la Ville.
Admirateur de la révolution française et de son message émancipateur, internationaliste, il fut toujours fidèle aux idéaux républicains et à son engagement pour la justice sociale. On le retrouve toute sa vie durant sur tous les fronts de l’action politique directe. Adolescent, il côtoie R.Rancher et la famille de Cessole dont la grande bibliothèque est mise à sa disposition. Le grand Paganini le prend en affection. Bachelier, après des études au collège des jésuites, titulaire de quatre doctorats des universités de Turin et de Naples, Henri Sappia ne fut pas seulement un grand érudit, mais cette « couverture » de professeur, lui permettra toute sa vie d’assurer au minimum sa subsistance, et cette érudition lui permit de propager à travers ses conférences les idées nouvelles de progrès social.
Orateur hors pair, son allocution au banquet républicain de St mandé, le 8 Février 1870, fut le prélude aux barricades antinapoléoniennes, les premières depuis 48. Accusé de conspiration par la haute cour de Blois, il reprocha d’ailleurs lors de son procès, fermement, à ses co-inculpés leur « amateurisme », contraire aux révolutionnaires italiens. Sappia est condamné sans preuves à 15 ans de détention pour complot contre la sécurité de l’Etat, mais le régime est lui-même à l’agonie et le 4 septembre suivant, il s’effondre dans la défaite et dans la honte, comme il avait commencé. Amnistié Sappia assiste à tous les événements importants de Nice et notamment à la répression qui suit le vote à une écrasante majorité pour les séparatistes niçois du 8 février 71. Confronté à l’invasion militaire d’alors, il relatera ces événement et tous les détails des turpitudes de l’administration impériale à Nice, dans un livre, Nice-contemporaine, qui dénonçait également « la bourgeoisie niçoise corrompue qui par vénalité avait vendu Nice à Napoléon III »[1].
Le rôle des élus locaux est de sauvegarder et transmettre aux générations futures le patrimoine et l’histoire de leur ville. A M.Ch. Estrosi, qui prétend faire réhabiliter le dictateur sous prétexte que ce personnage ne devrait son affreuse réputation qu’à la vindicte de Victor Hugo qui le surnomma “Napoléon le Petit”, il faut rappeler qu’un boulevard à Nice porte le nom d’Henri Sappia!
Et si l’on honore à Nice Napoléon le Petit, pour l’anniversaire des 150 ans du rattachement à la France, alors il faudra voiler les plaques qui portent les noms de Garibaldi et d’Henri Sappia, qui, eux sont de vrais héros niçois. Mais M. Estrosi et ses amis ne parviendront pas à transformer une histoire écrite avec le sang en révision médiatique d’un régime corrompu jusqu’à la moelle, déconsidéré et méprisé même par ceux qui le composaient et en tiraient profit.[2]
1848, le Printemps des Peuples,
Nombre de lettrés niçois s’engagent en faveur de la liberté, comme Eugène Emmanuel, qui écrit en l’honneur des engagés niçois partis en Lombardie pour combattre la « Sainte-Alliance » des rois contre les Peuples : « Nous déclarons que nous sommes partisans convaincus de l’égalité sociale et que nous reconnaissons comme seule suprématie celle de l’intelligence et de l’éducation ». Le 20 Mars, le roi Carlo Alberto, déclare la guerre à l’Autriche, après avoir accordé à Nice le « Statuto » qui rétablissait les libertés essentielles et l'égalité absolue des droits à tous les citoyens quelle que soit leur confession. Sappia a 15 ans, il quitte père et mère pour s’engager aux côtés de Garibaldi, tout juste revenu de Montevidéo, et accueilli comme un héros à Nice. A l’époque, Garibaldi recrute « à la turque », en éprouvant les volontaires à se mettre cul par dessus tête contre un mur, ce qui vide leurs poches et alors cela lui permet de juger à qui il a affaire ! Il n’est pas très regardant sur l’âge.
Avril 49, démobilisé, après la défaite de Novare, on le retrouve à Rome en pleine révolution. La République romaine est proclamée sous l’égide de Mazzini, d’Orsini et de Garibaldi. Fugitif du siège de Rome, où les troupes de Napoléon III viennent au secours du Pape, Mazzini l’envoie en mission politique auprès du démocrate Kossuth de Hongrie, mais il arrive trop tard. Il n’a que 16 ans !
1850, Orsini le charge de supprimer le tyran Ferdinand II, roi de Naples et de Sicile. Arrêté sur dénonciation à son arrivée à Rome, il passera trois ans en prison, contraint d’avouer qu’il est un admirateur de Ledru-rollin (il porte sa photo sous sa chemise). C’est pendant ce temps qu’aura lieu le sanglant coup d’état du prince-président qui marque un coup d’arrêt brutal aux idées libérales en France, le 2 Décembre 1851. 400 personnes qui défendent la liberté sont tuées, 26000 suspects arrêtés, 20000 condamnés, 239 déportés à Cayenne, 9530 en Algérie, 1545 expulsés de France dont 84 députés. Parmi eux, Victor Hugo. On voit arriver à Nice quantité de réfugiés républicains du Var.
Pendant ce temps, Victor Emmanuel poursuit sa politique ambitieuse pour constituer à son profit un état italien digne de ce nom. En échange de son aide pour continuer à aider les patriotes italiens à libérer l’Italie de l’emprise autrichienne, Napoléon III signe avec lui un traité en Janvier 59, remettant le duché de Savoie et la province de Nice à la France. Le 25 Mars, l’élection des députés du comté à la chambre Sarde voit les trois quarts des niçois déserter les urnes, c’est pour cela que Garibaldi sera appelé «le mal élu ». En effet, les Garibaldiens dont Sappia soutiennent le « parti italien », pour la campagne du référendum sur le rattachement et le parti « pro-français » prône l’abstention. La position pro-française de l’église par le biais de Mgr Pierre Sola et son clergé sera déterminante dans un comté où les populations étaient très attachées à leur paroisse. Le résultat pour l’ensemble du Comté du scrutin de16 Avril 1860 est connu : Inscrits :30 706, Votants :25 933, OUI :25 743, NON :160 ; Nuls :30.
La Commune de Paris et l’exil
Mars 1871.Sappia ne croise la Commune de Paris que très peu de temps, et ses écrits témoignent de circonspection devant la destruction de bâtiments historiques pour ralentir l’offensive des versaillais. Mais s’il avait assisté aux massacres des trente mille communards, à l’infâme boucherie qui se poursuivit pendant une semaine, s’il avait vu la Seine rouge du sang humain et la rage meurtrière des versaillais du boucher Thiers, ceux-là même qui avaient réprimé dans le sang l’insurrection niçoise, certainement que le combattant aurait pris le pas sur le théoricien et qu’après avoir tiré sa dernière cartouche, il aurait lui aussi pris une bouteille de pétrole et une torche à la main[3] Seulement, il émigre à Londres en abandonnant les communards et rentre à Nice vers 1896.!!
Emmanuelle Gaziello
Henri Sappia journaliste
· Le Courrier français (1868)
· La réforme (1869)
· Il Diritto di Nizza (1870)
· La Gazetta Italiana di Londra (1871)
· La Riforma (1882)
· *Nice Historique (1898-1906)
· L'Abruzzo (1881-1882)
Sappia fut l'ami de Felice Orsini(1819-1858), révolutionnaire et patriote italien, figure importante du Risorgimento, exécuté en 1858 pour avoir tenté d’assassiner Napoléon III à qui il reprochait d'entraver l'unification italienne, notamment en raison de l'intervention des troupes françaises à Rome en 1849 pour y réinstaller le pape. Ami de Mazzini(1805-1872), révolutionnaire progressiste et grand défenseur de Nice, et en février 1849, un des dirigeants de la nouvelle République romaine.
[1] Imprimé à Londres en 1871, il fut pilonné par le gouvernement français, afin que les Niçois n’en aient jamais connaissance. Henri Sappia, fonda alors la revue Nice-Historique et de l’Académia nissarda, en exil volontaire à Londres..
[2]2. La représentation nationale fut décapitée : 4 députés déportés à Cayenne, 1 en Algérie, 84 expulsés de France avec interdiction de revenir sous peine de déportation (dont Victor Hugo et Schoelcher), 18 éloignés et assignés à résidence. L’un des premiers actes du dictateur fut de rétablir la peine de mort que la république de 1848 avait abolie.
[3] Maurice Mauviel « L’incroyable Odyssée d’Henri Sappia, érudit niçois, conspirateur et agent secret sous le second empire »(Ed. Wallada, ed.2006). L’auteur dénonce d’ailleurs l’utilisation qui est faite par l’éditeur France Europe Edition (A. Roullier)de son ouvrage, à des fins politiques, dans l’avant-propos de la réédition de « Nissa Contemporanéa » d’Henri Sappia.